Du
12 Décembre 2022
au
12 Décembre 2024

L'association froment - pois protéagineux de printemps

Influence du reliquat azoté au semis et de la densité de semis du pois protéagineux sur les rendements de l’association froment-pois : résultats préliminaires

Contexte 

Parmi les challenges auxquels l’agriculture biologique doit faire face, on peut mettre en exergue la nécessité d’améliorer et de sécuriser les rendements, de contrôler les adventices en optimisant les régulations biologiques ou encore d’améliorer l’autonomie protéique des exploitations et faire des économies d’intrants. Les légumineuses sont des éléments clés des systèmes de cultures bas intrants, entre autres au travers de leur capacité à fixer l’azote atmosphérique et à produire des graines riches en protéines. Cependant, la variabilité des rendements, due à leur manque de tolérance aux stress biotiques (compétitivité vis-à-vis des adventices, ravageurs et maladies) et abiotiques (résistance aux aléas climatiques), est une des raisons de leur extension limitée sous un climat tempéré océanique.

L’association de cultures, consistant à cultiver plusieurs espèces simultanément, est une technique agronomique connue pour augmenter les rendements, la stabilité de ces derniers ou encore la teneur en protéine de la céréale associée. L’espèce associée à la légumineuse permet généralement une meilleure concurrence vis-à-vis des adventices ou joue le rôle de tuteur assurant un meilleur environnement de croissance de la légumineuse par rapport à la culture pure. Les différents avantages des cultures associées sont présumés être principalement liés au processus de complémentarité de niche des espèces associées en améliorant ainsi l’utilisation des ressources disponibles 1.

Les cultures associées peuvent être utilisées en ensilage, produisant une biomasse riche en protéines, ou encore être récoltées à maturité pour le grain. Néanmoins, il n’est pas toujours aisé de piloter l’importance que prendront chacun des composants dans les associations. De plus, dans le cas des associations de printemps, le reliquat azoté au semis peut avoir un impact sur le développement relatif des espèces présentes. Il est attendu qu’un reliquat azoté important favorise les céréales au détriment de la légumineuse et inversement. En effet, la céréale est généralement plus compétitive pour prélever l’azote inorganique du sol 2

L’objectif de la présente étude est dès lors d’évaluer l’influence du reliquat azoté en sortie d’hiver et de la densité de pois, sur les performances de l’association froment/pois protéagineux de printemps.

Méthodologie

Un essai a été mené à Ciney, en agriculture biologique, durant deux saisons (2019 & 2020), afin d’explorer cette question. LENNOX, une variété de froment de printemps, a été associée à BAGOO, une variété de pois protéagineux de printemps. Ces variétés ont été cultivées à la fois en cultures pures et en cultures associées, à différentes densités de semis (Table 1), en micro parcelles de 18 m² réparties en quatre blocs aléatoires. De plus, afin de simuler différents niveaux de reliquats azotés, trois niveaux de fertilisation (0, 80 et 160 kgN/ha), à base de poudre de sang (N = 13%), ont été appliqués au semis.

Les parcelles d’essais sont situées sur des sols limono-caillouteux, superficiels et relativement séchants. Les semis ont eu lieu en avril (24/04/2019 et 01/04/2020) à l’aide d’un semoir à céréales de 14 rangs à 13.5 cm d’écartement. Les semences de froment associées à celles de pois protéagineux sont directement semées en mélange dans la ligne à environ 3 cm de profondeur.

Les rendements en matière sèche ainsi que les proportions de céréales et protéagineux présentes dans les différentes associations ont été quantifiés suite à la récolte. La performance de l’association peut être évaluée grâce au calcul du LER (Land Equivalent Ratio) qui est défini comme la surface relative nécessaire pour produire les mêmes quantités de grains en cultures pures et traduit donc l’efficacité de l’association. Un LER supérieur à 1 indique une efficacité supérieure, un besoin en surface moindre, de l’association par rapport aux cultures pures pour obtenir les mêmes rendements. 

Table 1. Densité de semis des cultures pures (grains/m² et kg/ha) et associées (pourcentage de la densité de semis en culture pure)
Modalités de semis
Espèce Variété Pois de Mille Grain (PMG) 100% 100% Densité de semis de l’association
    [g] [grains/m²] [kg/ha] % de la culture pure
          Pois – 75 IC Pois – 100 IC
Pois protéagineux BAGOO 204 80 163 75 100
Froment LENNOX 45 350 158 50 50

Table 2. Somme des précipitations (mm) et température moyenne (°C) de la saison culturale (mars – août) et moyennes historiques. (Source : CRA-W/Agromet.be)
Caractéristiques des saisons culturales
  Précipitation (mm) Température (°C)
1992-2018 393 13,4
2019 393 13,5
2020 330 13,9

Résultats 

Rendements bruts moyens

En 2020, les rendements moyens des différentes modalités ont été supérieurs à leur homonyme récolté en 2019 (Figure 1). Dans le cas de l’association pois – froment avec la densité en pois au semis la plus élevée (Pois – 100 IC), on observe cette tendance indépendamment du niveau de fertilisation (Table 3). L’association dont la densité en pois au semis est de 75 % de la dose pleine (Pois – 75 IC) montre également des rendements moyens supérieurs en 2020 par rapport à la récolte 2019. En revanche, au vu de la variabilité importante entre les répétitions de ces modalités, la différence entre les deux années de récolte n’est pas significative en l’absence d’apport d’N. Comme attendu, les rendements de l’association Pois – 100 IC ont tendance à être supérieurs à ceux de l’association Pois – 75 IC au plus faible niveau de reliquat azoté simulé. Cette tendance n’est plus observée dès que les reliquats azotés simulés augmentent, le froment étant alors avantagé. En effet, les rendements moyens en pois protéagineux au sein de l’association montrent une tendance à la diminution lorsque le reliquat azoté simulé augmente dans le cas de l’association Pois – 100 IC. Cette diminution n’est, en revanche, pas observée dans l’association Pois – 75 IC en 2020 (Figure 2). 

Figure 1. Rendements moyens (kg/ha 15% H°) du pois protéagineux et du froment en cultures pures et associées (IC) en 2019 et 2020 sous trois niveaux de reliquats azotés simulés (0 – 80 – 160 kgN/ha). Les valeurs sont les moyennes des rendements (n=4). Les proportions des espèces dans le mélange sont exprimées en pourcentage du rendement total moyen de l’association.

Image

Table 3. Rendements moyens (kg/ha 15% H°) ± l’écart type des modalités d’associations en 2019 et 2020. Le Land Equivalent Ratio (LER) compare les rendements des cultures associées avec ceux obtenus en cultures pures. Si le LER est supérieur à 1, cela indique que l’association est plus efficiente pour produire une quantité de grains donnée que les cultures pures. En 2019, les cultures pures n’ont été cultivées qu’en absence d’apports azotés ne permettant dès lors pas de calculer le LER pour les modalités avec supplémentation en N (80 et 160 kgN/ha).
Rendements moyens et LER des associations pois protéagineux - froment
  Pois – 100 IC Pois – 75 IC
  2019 2020 2019 2020
Reliquat azoté simulé Rendement LER Rendement LER Rendement LER Rendement LER
(kgN/ha) (kg/ha)   (kg/ha)   (kg/ha)   (kg/ha)  
0 1580.7 ± 560.2 1,2 6101.2 ± 2098.4 2,2 1218.9 ± 352.9 0,7 3494.7 ± 1228.9 1,2
80 893.7 ± 145.3 - 4062.9 ± 747.1 1,5 1417.9 ± 596.7 - 4285.4 ± 1316.1 1,4
160 984.2 ± 145.1 - 4230.8 ± 1399.5 1,4 1010.7 ± 271.1 - 3959.8 ± 898.9 1,5

Figure 2. Rendements moyens (kg/ha 15% H°) en pois protéagineux dans l’association (2019-2020) sous trois niveaux de reliquats azotés simulés (0 – 80 – 160 kgN/ha). Les points représentent les valeurs observées au niveau des 4 répétitions.

Image

Proportions des espèces dans le mélange

De manière globale, on observe des proportions relativement équilibrées au sein des différentes modalités indépendamment du reliquat azoté simulé et de l’année. Une densité de légumineuses élevée au semis ne semble apporter un avantage en terme de rendement que dans un contexte de reliquat azoté faible. Pour le niveau de reliquats azotés simulés intermédiaire (80 kgN/ha), on observe une tendance à des rendements supérieurs pour l’association Pois – 75 IC. En revanche, pour le niveau supérieur de reliquats azotés simulés (160 kgN/ha), la différence entre les deux densités de semis du pois protéagineux ne se marque pas, que ce soit en termes de rendement et de proportions dans le mélange. 

Land Equivalent Ratio (LER)

En 2020, tous les LER totaux sont supérieurs à 1.2 (Table 3), et ce quels que soient la densité de pois et le niveau de reliquat azoté simulé. En 2019, année durant laquelle les cultures pures ont bien performé, seule l’association Pois – 100 IC a conduit à un LER supérieur à 1. En 2019, les LER relatifs aux niveaux supérieurs de reliquats azotés simulés (80 et 160 kgN/ha) n’ont pu être calculés puisque les cultures pures n’ont pas été cultivées sous ces niveaux de reliquats.

Discussion

Les résultats préliminaires de cette étude semblent confirmer ceux observés dans la littérature 3-4. Ils soulignent un intérêt à semer des cultures de pois protéagineux de printemps associées dans un contexte de résidus azotés faibles. En effet, la fixation symbiotique ne peut généralement s’exprimer que lorsque la disponibilité en azote dans la couche labourée est inférieure à un seuil de 56 kg N/ha 5. Sous ces conditions, la céréale est moins concurrentielle vis-à-vis de la légumineuse. La complémentarité des espèces associées pour l’utilisation des ressources est alors maximisée.

De plus, une densité de semis plus importante du protéagineux ne semble être intéressante que dans le cas où le reliquat azoté est faible. Cet avantage tend à être inexistant lorsque ce dernier est plus élevé.

Il reste néanmoins nécessaire de confirmer ces premiers résultats et de les affiner, entre autres, en caractérisant l’impact du reliquat azoté en sortie d’hiver sur les performances qualitatives de l’association. Les teneurs en protéines des différents composants sont en cours d’analyses et pourront être retrouvés dans les documents de synthèse relatifs au projet INTERREG V SymBIOse (2018-2022) qui a financé cette étude (https://symbiose-interreg.eu). L’évènement de clôture de ce projet aura lieu le 8 décembre 2022.
Les auteurs remercient l’Ecole Provinciale d’Agronomie et des Sciences de Ciney (EPASC) pour la mise à disposition des terres, ainsi que l’équipe technique de l’Unité Systèmes agricoles pour les suivis.

(1) Jenssen et al. (1996) Grain yield, symbiotic N2 fixation and interspecific competition for inorganic N in pea-barley intercrops. Plant soil, 182, 25-38
(2) Izaurralde et al. (1992) Nitrogen fixation efficiency, interspecies N transfer, and root growth in barley-field pea intercrop on a Black Chernozemic soil, Biol. Fertil. Soils, 13, 11-16 
(3) Corre-Hellou et al. (2006) Interspecific competition for soil N and its interaction with N2 fixation, leaf expansion and crop growth in pea-barley intercrops. Plant and soil, 282, 195-208.
(4) Naudin et al. (2010) The effect of various dynamics of N availability on winter pea-wheat intercrops : crop growth, N partitioning and symbiotic N2 fixation. Field crops research, 119(1), 2-11
(5) Huyghe et al. (2015) Les légumineuses pour des systèmes agricoles et alimentaires durables, Ed. Quae

Un article paru dans la revue Itinéraire Bio, n°67

Equipe