Du
01 Juin 2021
au
28 Février 2022

Live or Die

Live or Die : recherche d’alternatives à l’abattage des poussins, des veaux et des chevreaux mâles

Abattre des animaux dès leur naissance par nécessité économique questionne d’un point de vue éthique !

Faute de pouvoir les commercialiser à un prix suffisamment rémunérateur pour être consommés, les jeunes mâles issus des filières avicole (poules pondeuses), laitière (veau) et caprine (chevreaux) sont souvent abattus peu de temps après leur naissance, ce qui questionne d’un point de vue éthique. La qualité de vie des animaux ne peut être prise en compte que si les pratiques qu’elle implique n’interfèrent pas ou peu avec une rentabilité souvent limitée dans ce secteur. Entre militants et scientifiques, les éleveurs et professionnels des filières dressent leurs constats : désaveu de leur profession, ignorance ou méconnaissance de leur vie quotidienne en lien avec les bêtes « à bonne distance » (c’est-à-dire ni dans la confusion de l’identité ni dans l’altérité radicale), problèmes économiques et techniques d’adaptation aux normes légales, pression de la concurrence, … Ils soulignent également régulièrement que par leurs observations, leur vie partagée et leur savoir construit au contact de ‘leurs animaux’, ils reconnaissent leur sensibilité voire des affinités particulières avec eux ; un respect d’autrui à prendre en considération dans la domestication et lors de la mise à mort.

Les animaux, dans leur ensemble, sont une question de société majeure aujourd’hui, en témoigneront les nombreuses publications, émissions et polémiques quasi quotidiennes qui leur sont consacrés. Au-delà des aspects économiques, les éleveuses et éleveurs comme les salariées et salariés et aujourd’hui de plus en plus de consommatrices et de consommateurs, chacun avec son regard, se soucient des conditions de vie et de mort des animaux. La transformation vers un modèle plus vertueux pour les hommes, les animaux et l’environnement, s’avère désormais nécessaire mais sa complexité́ demande une période de transition et d'adaptation. Elle exige notamment de recréer des outils d’aval pour offrir aux agriculteurs et aux éleveurs des débouchés diversifiés et assurer une répartition équitable de la valeur sur l’ensemble des filières alimentaires. Elle doit aussi pouvoir s’appuyer sur une évolution de la demande pour stimuler les changements de systèmes de productions. Les enjeux se révèlent techniques, économiques, législatifs, éthiques et politiques nécessitant de déployer des innovations, des pratiques et un imaginaire offrant des alternatives à la destruction des jeunes mâles. En suivant diverses stratégies, concrètes ou potentielles, grâce à l’expertise des membres de l’équipe multidisciplinaire et à l’entrée empirique sur lesquels notre étude “Live or Die” repose, nous entendons participer à ce changement avec les acteurs humains et non humains concernés.

 Objectifs du projet

  • Établir un état des lieux de la situation wallonne vis-à-vis de la mise à mort des jeunes mâles pour la production laitière bovine et caprine ainsi que pour la production d’œufs;
  • Recenser les différentes alternatives possibles à ces mises à mort en compilant et prenant en compte les études déjà réalisées (engraissement, insémination avec sperme sexé, sexage in ovo, ....) mais également en investiguant des concepts originaux;
  • Envisager les conditions de faisabilité techniques, économiques (couts/bénéfices) et légales des différentes alternatives ainsi que l’intérêt sociétal à leur égard;
  • Analyser l’opportunité de développement de ces alternatives en Wallonie en tenant compte :
    • de la plus-value en termes de bien-être animal
    • de la faisabilité technique
    • de la faisabilité économique
    • des attentes de la société pour des pratiques plus éthiques et respectueuses du BEA

 Une démarche (empirique) impliquant les parties prenantes

Afin de réaliser les objectifs fixés, notre étude est articulée en 3 étapes complémentaires.

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Etape 1 : Diagnostic

Il s’agit ici de dresser un état des lieux des pratiques actuelles relatives à la gestion des jeunes mâles dans des élevages laitiers bovins et caprins ainsi que dans les élevages de poules pondeuses en Wallonie. Pour ce faire, nous dressons, par une immersion empirique, les chaînes opératoires de chacune des filières. Cet outil d’observation, de description et d’analyse des processus techniques convoque les gestes, les outils, les savoirs et les choix relatifs à la « fabrique » des jeunes mâles. Des éléments hétérogènes (matériels ou non) sont également pris en considération.  Ces chaînes opératoires rendent visible tout ce que l’acteur mobilise dans le processus technique (ex : l’abattage, l’engraissement, la vache nourricière) et intègre dans le « produit » final (l’animal et/ou le produit d’origine animale). Il s’agit d’inclure toutes les pratiques et les catégories que les acteurs considèrent comme requises, appropriées et/ou essentielles. Elles peuvent être très éloignées du moment, du lieu voire de la catégorie objective de l’action étudiée. Cet outil méthodologique permet de saisir à quels niveaux et quels moments particuliers du processus, certains gestes, outils, choix moraux, motifs sanitaires, représentations du vivant, croyances … peuvent s’avérer opératoires et quand ils deviennent inutilisables ou inopérants imposant alors des alternatives (des bifurcations concrètes, matérielles ou imaginaires, ou encore potentielles de la chaînes opératoire).

Parallèlement, nous établissons un état de l’art de la littérature scientifique et de la littérature grise des alternatives à l'abattage des jeunes mâles des trois filières étudiées. Nous procédons à un recensement des publications concernant l’abattage des jeunes mâles mais aussi les diverses techniques alternatives existantes et l’évaluation de leurs effets sur le bien-être des animaux et des éleveurs, sur l’environnement et au niveau économique.  Nous nous penchons également sur les différentes campagnes anti-abattage de ces jeunes mâles pour en cerner les arguments et les outils de sensibilisation de ces supports écrits et visuels

Étape 2 : Évaluation intégrée des alternatives à l’abattage des jeunes mâles

Il s’agit ici de procéder à une double évaluation. D’une part, nous revenons vers les acteurs des filières étudiées pour leur soumettre les chaînes opératoires comprenant les bifurcations potentielles saisies sur le terrain et dans l’état de l’art. Ces entretiens compréhensifs permettent de cerner la façon dont ces acteurs et intervenants de terrain considèrent les pratiques actuelles d’abattage et leurs alternatives. En rendant visibles les lieux, les moments, les motifs des bifurcations de trajectoires des jeunes mâles vers l’abattage, les chaînes opératoires dressées permettent de creuser, avec les acteurs de terrain impliqués, les tensions et frictions vécues au quotidien dans la pratique relative à ces animaux particuliers. Qu’éprouvent-ils? Pourquoi une pratique est-elle effectuée? Qu’impliquent-elles sur le regard porté sur les animaux, sur le métier, sur la domestication, sur la production et sur le produit? Pourquoi telle ou telle alternative n’est pas adoptée? Quels changements seraient envisageables et/ou nécessaires? Pourquoi et comment?

D’autre part, l’équipe « Live or Die » évaluent ces alternatives en mettant en place des outils propres à chaque approche (économique, technique et sociologique). Sur base des alternatives recensées dans la phase précédente ainsi que des informations recueillies auprès des acteurs et des experts quant à leurs enjeux et intérêts multiples, nous dressons une grille d’évaluation de chaque cas rencontré (concrètement ou virtuellement, qu’il soit de sélection ante natum, de report d’abattage, d’amélioration des conditions de vie et/ou des conditions d’abattage). Nous pouvons ainsi baliser les conditions de faisabilité techniques et légales, économiques (coûts/bénéfices) des différentes alternatives ainsi que l’intérêt sociétal à leur égard. Les alternatives prennent également en compte l’aspect du bien-être des animaux qui, dans le contexte qui nous intéresse, concerne non seulement l’évaluation des modalités de leur mise à mort mais aussi l’évaluation de l’impact de leurs conditions de vie, si celle-ci s’en trouvait allongée.

Etape 3 : Délivrables

Les variables clés à mobiliser pour évaluer une pratique de gestion des jeunes mâles et le produit qui en est issu en termes de BEA, de cout technique et économique, d’éthique (acceptabilité sociale) sont fournies au terme de l’étude.

Résultats

Nous avons, avec l’aide des acteurs des secteurs concernés par l’étude, identifier des alternatives à la mise à mort des jeunes mâles. Ces solutions de remplacement peuvent être préventives (avoir lieu avant la naissance de l’animal et l’éviter), directes (concerner des actions sur le jeune mâle lui-même) ou être indirectes (en influençant le milieu dans lequel l’animal évolue). Ces alternatives ont été évaluées avec les acteurs des secteurs concernés et au su de la littérature de référence en la matière. En voici la synthèse pour chacune des filières :

A propos des poussins

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L’ovosexage est une solution à laquelle d’autres pays recourent déjà (ex : Allemagne et France). Cependant cette technique doit être améliorée (contamination de l’œuf, faux positifs et faux négatifs). Son acceptation par la société sera conditionnée par une prise en compte de la nociception de l’embryon et de la gestion des œufs “mâles” écartés (assimilée à un « avortement »).

L’élevage des coqs frères de pondeuses est mis en place dans d’autres pays (ex : Autriche). Cependant, cette production n’est pas envisageable en matières économique et zootechnique (indice de consommation, valorisation des carcasses) mais elle permet de gérer les poussins mâles nés d’un ovosexage raté.

Élever des races mixtes nécessite de développer leur génétique. Des races rustiques ou locales pourraient être revalorisées. Une synergie des filières est à envisager pour cette double production. Une conception différente du métier d’éleveur doit accompagner la mise en place de cette solution dont les référents en termes de productivité, notamment, sont spécifiques et non comparables à ceux des filières spécialisées. La communication envers le citoyen et le consommateur devra être assurée.

A propos des veaux

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Le problème majeur auquel la filière se trouve confrontée est le surplus de veau et l’engorgement des animaux à l’engraissement. Fixer un prix minimal d’achat des veaux à la ferme ne fera que déplacer le problème en aval de la filière et au-delà des frontières régionales. Des accords extra-régionaux seraient donc nécessaires à l’instauration de cette solution indirecte que rien n’interdit mais pour laquelle rien n’est mis en place. Des dépenses budgétaires engendrées par cette mise en œuvre sont donc à prendre en considération.

L’usage de doses sexées en insémination artificielle empêche la naissance des veaux laitiers mâles. Le problème des animaux excédentaires se reporte alors sur les velles non nécessaires à la relève du troupeau laitier sauf si cette insémination est combinée avec d’autres techniques (génomique, transfert d’embryon ou le croisement industriel). Quoi qu’il en soit cette pratique entre en conflit avec la monte naturelle que certains éleveurs privilégient. Par ailleurs, l’IA peut être éthiquement et socialement associée à de la manipulation génétique. Elle peut également être envisagée comme un prolongement des techniques domesticatoires fondées sur une sélection des animaux.

Pour soutenir le développement de l’élevage de races mixtes, il faudra convaincre le secteur qu’il ne s’agit pas d’un recul de la profession et soutenir le changement de référent afférent à cette diversification des exploitations. Favorisant la résilience accrue des élevages (notamment face à la volatilité des prix à la production), adaptée au pâturage dont la Région wallonne est riche, favorable au secteur bio et à la direction prise par la nouvelle PAC, cette solution de remplacement directe devrait être analysée plus en profondeur (notamment en termes économiques et techniques car l’aval de la filière devra s’adapter également). Enfin, il est notable que les qualités organoleptiques de cette viande diffèrent des standards de la consommation actuelle.

L’engraissement des veaux laitiers à la ferme souffre de l’absence de solutions technico-économiques adéquates dès le moment de l’abattage des animaux. Soutenir l’abattage à la ferme, la mise en place d’ateliers de découpe accessibles aux éleveurs et/ou le maintien d’abattoirs de proximité conditionne la mise en œuvre de cette solution de remplacement directe. S’inscrivant également dans une diversification des exploitations, cette solution favorise leur résilience économique. Le nombre des veaux échappant à la mise à mort grâce à cette solution dépend des infrastructures d’hébergement des animaux surnuméraires (bâtiments, pâturages). Les veaux laitiers pourraient aussi être transférés chez des éleveurs allaitants qui devraient alors apprendre à travailler avec ces races laitières ou croisées. Le partenariat entre ces 2 types d’acteurs pourrait-il constituer une opportunité pour chacun de ces acteurs ? Grouper les compétences, les installations, les motivations personnelles est à impulser tout en tenant compte des freins législatifs qui pourraient exister par rapport au transport des veaux, à leur engraissement dans un atelier, lequel requiert une autorisation de l’AFSCA.

A propos des chevreaux

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Dans cette filière, il est nécessaire de distinguer deux formes d’élevage caprin : l’élevage principalement laitier réunissant peu d’éleveurs mais la majorité des chèvres de la région et l’élevage fromager regroupant de nombreux praticiens avec des cheptels plus petits. La gestion des troupeaux est spécifique à chacune de ces formes. Les solutions de remplacement envisageables n’y ont pas le même écho.

La lactation longue est d’ores et déjà mise en pratique dans les élevages laitiers et limite donc un bon nombre de naissances de chevreaux. Pratiquée sur l’ensemble du troupeau, elle supprime le problème des jeunes mâles mais génère une absence de relève et la nécessité d’acheter des chevrettes à l’extérieur. La production de lait en lactation longue est continue et, si elle n’est pas infaisable techniquement parlant, elle ne correspond pas au rythme de travail saisonnier des fromagers qui respectent le cycle naturel des chèvres.

L’insémination artificielle avec doses sexées pose le problème inverse : celui d’un afflux de chevrettes. Si les mâles ne naissent plus, les chevrettes surnuméraires sont mises à mort à leur place. Par ailleurs l’accès à ces doses est compliqué et leur coût est élevé. Enfin, l’assimilation de cette manipulation à de l’eugénisme et son opposition à la « naturalité » de l’élevage suscite des débats aux niveaux éthique et sociétal.

Le ramassage des chevreaux à destination d’un centre d’engraissement extérieur à la région wallonne n’est pas organisé car le nombre d’animaux est insuffisant. Engraisser les chevreaux à la ferme nécessite de disposer des infrastructures adéquates. Les éleveurs qui ont mis cette solution en place le font pour le bien-être animal mais n’en tirent aucun bénéfice financier. La consommation de viande de chevreau est confidentielle en Wallonie mais pourrait attirer une frange de la population pour peu que l’impact positif de cette consommation soit communiqué.

 A propos des humains (éleveurs et consommateurs)

Des éléments transversaux aux filières et concernant les diverses solutions envisagées ont également émerger de nos analyses. Ils concernent le sens du métier d’éleveur challengé aujourd’hui notamment par les demandes sociétales d’amélioration du bien-être animal, le rapport particulier des sociétés occidentale à la mort invisibilisée, la spécificité de la question de la « bonne mort » ou encore les nécessaires transformations des filières spécialisées, des normes des produits et des habitudes alimentaires des différents produits auxquels contribuent les jeunes mâles en naissant et en mourant.

Financement : SPW-DGO3

Partenaires

Claire Diederich, Professeure et vétérinaire à l’Unamur ;

Sara-Gisella Omodéo, vétérinaire et chercheuse à l’Unamur.

Live or Die se caractérise par 3 positionnements clés pour mener à bien l’étude des alternatives à l’abattage des jeunes mâles dans les élevages de Wallonie: la multi-disciplinarité, un ancrage empirique, une approche co-constructive prenant les acteurs de terrains humains et non-humains au sérieux.

 

Equipe