Contexte
L’azote (N) est un nutriment essentiel pour la croissance des plantes et la productivité agricole, et joue donc un rôle central pour la sécurité alimentaire mondiale. Cependant, son utilisation intensive sous forme d’engrais a entraîné de fortes pressions environnementales, affectant la qualité des eaux, des sols et de l’air.
On estime que seuls 30 à 50 % de l’azote apporté aux cultures sont absorbés par les plantes. Le reste est perdu dans l’environnement par différents processus illustrés à la Figure 1 : (1) la lixiviation des nitrates, qui provoque une contamination des eaux souterraines, (2) l’érosion et le ruissellement, qui entraînent une eutrophisation des eaux de surface, et (3) les émissions gazeuses, dont le protoxyde d’azote (N₂O), un puissant gaz à effet de serre au potentiel de réchauffement 298 fois supérieur à celui du CO₂.
En Europe, jusqu’à 75 % des terres cultivées pourraient être vulnérables à la lixiviation des nitrates pendant au moins un tiers de l’année. Ces pertes dépendent à la fois des caractéristiques du sol (texture, structure, matière organique, pH…), des conditions climatiques (température, précipitations) et des pratiques agricoles (types de cultures, gestion des apports organiques et minéraux). Les interactions entre ces facteurs restent cependant mal comprises, ce qui limite la capacité des scientifiques à orienter les agriculteurs vers des stratégies de gestion adaptées.
Cette situation entraîne des répercussions multiples : pollution des ressources en eau potable, dégradation des écosystèmes aquatiques, augmentation des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi perte d’efficacité des engrais pour les agriculteurs. Les projections montrent que les émissions de N₂O pourraient augmenter de 35 à 60 % dans les prochaines décennies si les pratiques actuelles persistent.
Face à cette complexité, il est indispensable de mettre en place des méthodes intégrées de suivi des flux d’azote (sol, eau, air), capables d’alimenter des modèles prédictifs fiables et d’évaluer l’efficacité des pratiques agricoles, tout en orientant les politiques publiques et en réduisant les pertes d’azote.
Figure 1. Schéma du cycle de l’azote en agriculture (Farmleap, 2023).
Objectifs du projet
NitroScope a été sélectionné dans le cadre de l’appel HORIZON-MISS-2024-SOIL-01-04, financé par Horizon Europe – Research and Innovation Actions, dans le cadre de la Mission « A Soil Deal for Europe ». Cette mission vise à protéger et restaurer les sols, et à créer des sites pilotes pour tester des solutions innovantes. Le projet NitroScope, d’une durée de 4 ans à compter du 1er octobre 2025, est porté par l’Université de Gand (UGent). Il regroupe un consortium de 24 partenaires européens venant de 14 pays différents (Allemagne, Belgique, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Norvège, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Serbie, Suisse, Tchéquie) aux expertises scientifiques complémentaires (universités, instituts de recherche publics, bureaux d’étude, exploitations agricoles, ONG).
NitroScope vise à fournir des solutions systémiques pour mieux quantifier et gérer les flux d’azote en Europe, de l’échelle parcellaire à l’échelle continentale, afin d’améliorer l’efficience d’utilisation de l’azote (NUE) et de réduire les pertes par lixiviation et émissions de N₂O. Le projet comprend également la transmission des connaissances scientifiques acquises aux acteurs de terrain. Ces objectifs seront atteints en combinant : (1) Un suivi amélioré des flux d’azote sur plus de 100 sites de collecte, 20 exploitations et 5 sites pilotes répartis sur 8 zones pédoclimatiques, grâce à des capteurs proximaux, de la télédétection et des méthodologies adaptées aux émissions de N₂O in situ ; (2) La création d’une architecture de données centralisée (base de données et cloud) pour faciliter le stockage, l’accessibilité et le traitement des données ; (3) Une meilleure compréhension des facteurs d’émission régionaux et un support décisionnel basé sur un ensemble de modèles pour réduire les incertitudes et les biais ; (4) La mise en œuvre et l’évaluation de stratégies de gestion et de conservation de l’azote, incluant fertilisation à taux variable et gestion des résidus de culture ; (5) Une approche transdisciplinaire et participative, avec deux add-ons d’outil d’aide à la décision, afin d’informer et d’engager les agriculteurs dans la surveillance et la gestion durable des flux d’azote. Ces différetnes actions et leurs connexions sont présentés à la Figure 2.
Figure 2. Schéma synthétique du workflow de NitroScope, illustrant les flux de données et les interactions entre les sites de mesure, la modélisation et la diffusion.
Description des work packages
Pour atteindre ses objectifs, NitroScope est structuré en sept work packages complémentaires.
Le WP1 assure la gestion et la coordination du projet, le suivi du planning et du budget, le respect des exigences éthiques et administratives, et la communication entre partenaires.
Le WP2 vise à améliorer les méthodes de mesure des flux d’azote, en collectant les données existantes et en développant ou adaptant des capteurs pour un suivi continu et précis, réduisant ainsi les incertitudes. Dans ce cadre, le CRA-W pilote la tâche 2.1, qui consiste à collecter et analyser les données existantes sur la gestion de l’azote à l’échelle parcellaire dans différentes zones pédoclimatiques européennes. Ces données proviendront d’essais de terrain, d’études à long terme et d’initiatives de suivi, issues des partenaires et de bases de données en ligne. Elles seront compilées dans une base harmonisée, permettant d’identifier les principaux facteurs influençant les flux d’azote entre sols, plantes et environnement. Le CRA-W réalisera également une méta-analyse des pratiques de fertilisation, mettant en évidence les lacunes de connaissances et guidant les développements futurs.
Le WP3 collecte des données à haute résolution sur la performance des cultures, la dynamique du sol et la gestion de l’azote, afin d’évaluer et comparer des stratégies adaptées aux contextes locaux. Le WP4 favorise l’adoption de ces stratégies par les agriculteurs et autres acteurs, identifiant les freins et leviers, et mettant en œuvre des actions de formation et de démonstration.
Le WP5 optimise et met en œuvre des modèles mécanistes sol-culture, couplés aux données télédétectées et proximales, pour produire des prévisions fiables des flux d’azote à différentes échelles et identifier les leviers de réduction des pertes. Le WP6 permet d’upscaler ces flux au niveau national et européen afin de produire des bilans azotés complets et d’évaluer l’impact des transitions d’usage des sols et du changement climatique. Enfin, le WP7 assure la diffusion et la communication des résultats, en partageant largement les connaissances et solutions auprès des scientifiques, décideurs et grand public, maximisant leur impact pratique et politique.